Rencontre avec Stéphane Guégan, auteur de Caillebotte, Peintre des extrêmes. Prix d’Académie 2022.
Stéphane Guégan, vous êtes historien, critique d’art, conseiller scientifique auprès de la présidence du musée d’Orsay et l’auteur de plusieurs ouvrages sur la peinture et la littérature des XIXe et XXe siècles. Vous avez récemment écrit Caillebotte, Peintre des extrêmes, merci d’avoir accepté de nous en parler.
Editions Hazan (EH). Dans votre ouvrage vous qualifiez Caillebotte de « peintre des extrêmes », quelle en serait votre définition ?
Stéphane Guégan (SG). Le titre m’a été inspiré par la façon dont les contemporains de Caillebotte ont réagi à sa peinture, depuis certains critiques jusqu’au marchand Durand-Ruel, voire aux peintres eux-mêmes, Monet et Pissarro, par exemple. Peu sont prêts, de fait, à lui pardonner la formation qu’il a reçue chez Bonnat et qui explique pourtant la vigueur de ses tableaux et son penchant pour les corps en action. On le dit excessif, trop singulier ou trop réaliste, extrême, en somme. Mais je voulais aussi annoncer les polarités que ce livre examine : ses vues de Paris ne chantent pas sur le même ton, ses nus si francs oscillent entre impudeur et retrait, il est autant le peintre des villes que des champs. Bref, il ne s’installe jamais dans quelque formule, quelque confort que ce soit. L’impressionnisme est souvent plus banal.
EH. L’Académie française vient de vous attribuer le Prix d’Académie pour Caillebotte, Peintre des extrêmes. Que représente pour vous cette distinction ?
SG. Il n’est pas de récompense qui puisse réjouir davantage un auteur. J’y reconnais aussi, autre joie, une marque de reconnaissance adressée au peintre lui-même, lui qui, en bateau ou sur la toile, se sentait si français. Or, nous le savons, sous l’effet des premières histoires de l’impressionnisme, il disparut presque de nos mémoires au XXe siècle. Ses principaux chefs-d’œuvre quittèrent la France jusqu’aux années 1950. Sa renaissance est récente, je la raconte, l’Académie la confirme royalement.
EH. Qu’est-ce qui vous saisit le plus dans l’œuvre de Caillebotte ?
SG. Deux choses, si l’on va à l’essentiel : cette puissance d’effet et de mystère à la fois, qui est l’indice des inventeurs de forme ; et, de façon complémentaire, le sens du sujet, la volonté d’aller au-delà du seul agrément des yeux, en tirant une vraie poétique des nouveautés, heureuses ou sombres, de la vie moderne.
EH. Si vous deviez ne retenir qu’une œuvre de Caillebotte, quelle serait-elle et pourquoi ?
SG. Non sans regrets, tant l’œuvre me semble riche en images uniques, je choisirais L’Yerres, effet de pluie de 1875, sur lequel s’ouvre mon livre. En lecteur assidu de Flaubert, Caillebotte y relève le défi de Madame Bovary, ce « livre sur rien », dit l’écrivain. A partir d’une donnée minimale, la pluie faisant des ronds à la surface du cours d’eau qui traversait la propriété de ses parents, Caillebotte tire tout un monde de sensations et de rêveries qui n’ont rien perdu de leur force, 150 ans plus tard.
EH. A qui conseilleriez-vous votre ouvrage ?
SG. J’ai essayé de répondre aux attentes les plus variées ou les plus extrêmes. Mon livre s’adresse à celles et ceux qui découvrent l’œuvre sans préparation, ou cherchent à approcher autrement un artiste sur lequel se sont récemment abattues toutes sortes de lectures réductrices.